Un certain manque de professionnalisme
Article mis en ligne le 20 août 2006

par Irna

La campagne de fouilles 2006 a donc débuté dans la "vallée de pyramides" de Visoko le 14 avril, et elle doit théoriquement se poursuivre jusqu’à fin octobre. Tout au long de cette campagne, le site web de la fondation a été alimenté, au moins pour la partie en bosniaque, sur une base quotidienne, par de courts communiqués et des centaines de photos des fouilles. Il semble donc a priori qu’il y ait une certaine volonté de "transparence" de la part de M. Osmanagic. Notons toutefois que :
 la plupart des photos publiées sont de très mauvaise qualité, les photos publiées par des visiteurs sur des forums sont souvent bien meilleures ; sans compter qu’au moins une partie des photos de la Fondation sont encombrées de l’énorme logo violet d’une marque de papier toilette qui a un temps sponsorisé la Fondation...
 ces photos sont la plupart du temps inutilisables : absence d’échelle, de légende, gros plans sans mise en contexte... L’absence d’échelle a progressivement été à peu près corrigée, mais pas le reste. Le plus gênant est l’absence totale de localisation des photos, dont on ne peut pas savoir de quel sondage, ni même souvent de quelle "pyramide", elles sont censées venir.
 pour une photo qui pourrait avoir un intérêt (géologique ou archéologique) si elle était correctement identifiée et légendée, il y en a dix qui n’en ont absolument aucun, si ce n’est dans un sens "publicitaire" : photos de M. Osmanagic, et surtout dizaines, voire centaines de photos de visiteurs du site, en particulier diplomates, hommes d’affaires, politiques... C’est sans doute de bonne guerre dans le cadre d’une campagne de propagande visant à convaincre sponsors et groupes de pression, mais cela n’apporte rien à l’intérêt scientifique du site web !

Tel quel, ce site de la Fondation permet quand même de se faire une petite idée de la façon dont se déroulent les fouilles. Des fouilles archéologiques ne s’improvisent pas, et doivent absolument respecter un certain nombre de règles. Une fouille archéologique, par nature, est destructrice : une fois fouillé, un site ne pourra jamais être reconstitué en l’état. Des fouilles se déroulent généralement sur deux plans : un plan horizontal (ou suivant le pendage des couches archéologiques si celles-ci sont inclinées) que l’on "décape" progressivement, niveau archéologique par niveau archéologique ; et un plan vertical où l’on va essayer d’obtenir une stratigraphie complète du site. A chaque étape, pour chaque niveau décapé, tous les objets, encore en place, sont soigneusement repérés dans un plan, photographiés, dessinés, avant d’être prélevés et étiquetés. A l’issue de la fouille, on a pour chacun des objets prélevés une localisation exacte, en trois dimensions, par rapport à un repère de base ; c’est dire que le premier soin des archéologues, avant de commencer à creuser quoi que ce soit, est de mettre en place sur chaque parcelle fouillée une "grille" fixe, qui servira de repère horizontal et vertical. Au fur et à mesure que la fouille se déroule, le sédiment évacué est soigneusement tamisé, de façon à récupérer le moindre débris ou éclat (os, poterie, silex...). Toute cette procédure, lente et méticuleuse, est indispensable, car les archéologues ne s’intéressent pas uniquement, comme c’était le cas au XIXème siècle, aux objets (artefacts), mais aussi aux rapports (spatiaux) entre ces objets, et également à toute une série d’artefacts qui ne sont pas des objets proprement dits et qui seront détruits irrémédiablement au cours de la fouille, comme les trous de poteaux, les emplacements de foyers etc. Sans compter que la manipulation du sédiment doit être très soigneuse si l’on veut pouvoir procéder à des analyses fines (pollens, datation au C14) pour lesquelles les risques de contamination sont importants.

Or, l’image des fouilles des "pyramides" telle qu’elle apparaît sur le site de la Fondation me paraît bien éloignée de cet idéal scientifique :
 Aucune des photos publiées depuis le mois d’avril ne montre la moindre trace d’une grille, d’un système de repérage quelconque.
 Une seule photo, à ma connaissance, montre un tamis ; l’impression générale est que les sédiments retirés sur les nombreux sondages sont purement et simplement rejetés, sans tamisage.
 Les fouilles se déroulent semble-t-il en même temps sur un grand nombre de sondages (aucun plan précis des sondages ouvert n’a été publié par la Fondation) ; il est impossible qu’un archéologue professionnel soit présent sur chacun de ces sondages (puisque les archéologues "professionnels" présents au moins une partie de la campagne sur place se limitent à Silvana Cobanov et Nancy Gallou, jeunes archéologues respectivement serbe et grecque, et Lamiya El Hadidi, egyptienne plutôt spécialisée dans la restauration d’artefacts). Or la présence d’archéologues professionnels est d’autant plus importante qu’apparemment les fouilleurs, nombreux, sont des volontaires sans formation particulière qui souvent ne restent pas plus de quelques jours.
 Diverses photos de fouilleurs au travail donnent plutôt l’impression d’un travail "en force" (pioches, pelles, voire bulldozer...) que de la fouille minutieuse des préhistoriens.

Fouilles sur Pljesevica
Excavations on Pljesevica - Source

 Certains jours, un très grand nombre de visiteurs se promènent sur le site ; si certains zones sont vaguement délimitées de rubans de plastique, visiblement les touristes circulent quand même un peu partout. Une volontaire de la première heure, présente sur le site depuis avril, évoque sur son blog (en) des échantillons de sol (prélevés dans la "structure rectangulaire" de Pljesevica pour datation) rendus inutilisables par des cendres de cigarettes jetées par des visiteurs...

Fouilles sur Visocica : les enfants s’amusent bien.
Excavations on Visocica : children are playing - Source

Bien sûr, rien ne dit que ces photos reflètent la réalité, et qu’une fois les photographes partis grilles et tamis ne sont pas réinstallés...


Ce qui est assez drôle, c’est qu’il existe sur le site de la Fondation un "manuel pour l’archéologie" qui explique comment mener à bien une fouille archéologique selon les règles, et détaille précisément toutes les méthodes scientifiques qui font défaut aux fouilles de M. Osmanagic. Ce manuel, signé Sead Pilav (ce jeune archéologue suédois qui devait être "coordinateur du comité archéologique" et qui a quitté le site au bout de trois jours en mai 2006 pour cause de "manque de sérieux et de professionnalisme", voir aussi ici), n’a fait son apparition sur le site de la Fondation qu’en février 2007 à l’occasion d’une refonte complète du site, et se trouve curieusement en téléchargement sur la page du "manuel pour reconnaître une pyramide" écrite par Amer Smailbegovic (bs). Il est curieux que ce manuel, daté de décembre 2005 et dont la Fondation doit disposer au moins depuis le passage de Sead Pilav sur le site en mai 2006, ne soit publié que maintenant, et dans un endroit qui laisse supposer une erreur du webmestre plutôt qu’une publication volontaire (les titres des deux documents étant assez ressemblants). Pour le cas où le webmestre s’apercevrait de cette erreur, je mets ce manuel (malheureusement en bosniaque) à la disposition des lecteurs :

Prirucnik za arheologiju - Manuel pour l’archéologie
Handbook for archaeology