L’affaire des « momies aliens » lancée en France par Thierry Jamin se transforme peu à peu en véritable feuilleton à rebondissements : alors que M. Jamin semble avoir définitivement associé son « Alien Project » au grand cirque de Jaime Maussan et de son émission Tercer Milenio
(ce qui, entre nous, n’a rien pour renforcer la crédibilité du projet, bien au contraire !), voilà qu’un deuxième groupe, qui se présente sous le doux nom de « los Guardianes de Atok Marka », prétend détenir de son côté plus de 2000 « reliques » du même type que celles présentées par Thierry Jamin et son acolyte le huaquero « Mario ». La nouvelle est diffusée par une association ufologique péruvienne, l’APU (Asociación Peruana de Ufología), qui diffuse une vidéo sur le sujet : https://www.youtube.com/watch?v=K9jfyFeumjw&feature=youtu.be. On y voit Anthony Choy, un des ufologues péruviens les plus connus, présenter quelques « momies » ou fragments, dont celle-ci, sur laquelle on reviendra plus tard :
Quelques jours après cette étonnante nouvelle, nouveau rebondissement : cette fois c’est « Paul », alias krawix999, qui se répand sur les chaînes péruviennes pour annoncer que les « momies » n’ont rien d’extraterrestre, mais sont des fabrications - anciennes affirme Paul, d’époque inca ou pré-inca - construites à partir d’un mélange d’os humains et animaux. C’est d’autant plus surprenant que Paul est le premier à avoir contacté Dante Rios et Thierry Jamin, apparemment en novembre 2016, et que sur sa chaîne YouTube il semble avoir toujours privilégié l’hypothèse alien.
Peut-on accorder la moindre confiance à la parole de ce personnage assez folklorique, lié à une secte de type raélien, qui change aussi soudainement son fusil d’épaule ? Non, évidemment ; reste que Paul a mis en ligne le 26 avril une vidéo fort intéressante (partiellement sous-titrée en anglais) où, indépendamment de son opinion personnelle changeante sur ces objets, on peut relever quelques éléments assez instructifs :
(mise à jour : la vidéo n’est plus disponible sur la chaîne de Paul, mais on la trouve encore ailleurs)
Une grande partie de la vidéo est consacrée à l’étude des diverses radios des « momies », et relève nombre d’incohérences déjà pointées il y a plus d’un mois par une archéozoologue ; on y trouve l’exemple d’une main géante comportant 5 os métacarpiens pour seulement trois doigts :
Il explique comment les doigts très longs ont été créés en rajoutant des phalanges supplémentaires à la base de chaque doigt :
et montre que le nombre de phalanges, sur les doigts d’une même main, est totalement incohérent, puisqu’on trouve un doigt à 5 phalanges à côté d’autres à 6 phalanges :
Il insiste sur l’absence de colonne vertébrale d’un des corps :
et sur l’absence d’articulations ailleurs :
L’analyse des crânes est particulièrement intéressante : il note la présence d’os pneumatiques (sinus) placés sur l’arrière, alors qu’ils sont normalement présents sur la face :
et déduit, de ce fait et de quelques autres indices (présence de crêtes nuchale et sagittale), l’hypothèse que les crânes « aliens » auraient pu être fabriqués à partir de crânes de canidés pris à l’envers et débarrassés des orbites et de la mâchoire inférieure :
L’hypothèse « colle » assez bien avec ce qu’on voyait sur la vidéo commentée par le docteur Salazar Vivanco :
à la différence que celui-ci considérait comme une cavité buccale ce qui serait plutôt, d’après l’hypothèse exposée par Paul, le foramen magnum (trou occipital) :
Peut-être faut-il mettre en relation avec cette hypothèse la forme curieuse d’une des têtes présentées par l’association ufologique péruvienne évoquée plus haut ?
Se pourrait-il qu’une partie des orbites ait été « oubliée » lors de la préparation de ce crâne-là ?
Tout au long de sa vidéo, et des interviews auxquelles il a participé, Paul insiste sur le fait que ces momies composites artificielles sont bien, malgré tout, des trouvailles authentiques. Il veut clairement en faire des trouvailles archéologiques, et évoque une fabrication par les Incas ou les Nazcas. J’avais moi-même évoqué cette possibilité ici, en conclusion, mais sans trop y croire, les seuls exemples de momies composites que nous ayons pour l’Amérique du Sud, celles des Chinchorros, étant beaucoup trop différentes stylistiquement. Par ailleurs la ressemblance de ces « momies aliens » avec l’imagerie populaire liée aux extraterrestres est trop flagrante pour qu’on puisse l’ignorer - c’est d’ailleurs la contorsion la plus fréquente à laquelle se livrent ceux des partisans de Thierry Jamin qui admettent, du bout des lèvres, la démonstration de Paul : ils veulent bien accepter l’idée qu’une partie des objets seraient des momies composites, mais imaginent qu’elles auraient été fabriquées par les Nazcas pour honorer ou commémorer les visiteurs extraterrestres qu’ils auraient rencontrés, ce qui permet de continuer à prétendre qu’il y aurait aussi de « vraies » momies aliens, dont celles « étudiées » par les médecins de M. Jamin (voir ici), et que l’imagerie populaire serait basée sur des rencontres extraterrestres réelles au XXème siècle.
La vidéo de Paul permet peut-être d’aller un peu plus loin sur ce sujet ; en effet, à partir de 9:20, elle montre quelques images d’une analyse réalisée sur un des objets par spectroscopie infrarouge (spectroscopie FTIR, ou Spectroscopie infrarouge à transformée de Fourier). L’analyse est réalisée à l’aide de cet appareil : http://www.directindustry.fr/prod/smiths-detection/product-35168-1607219.html destiné principalement aux services de police et de sécurité (détection de produits toxiques, explosifs, et de drogues principalement). On n’a pas les résultats complets de l’analyse (je les ai demandés à Paul en commentaire de sa vidéo, mais il ne les pas encore publiés), mais il est possible à certains moments de la vidéo de distinguer quelques mots (merci à Etienne Hamelin pour son aide !) :
– Amberlite (85 % ?)
– Grass Smut Spores carbohy(drates) (= spores d’un champignon parasite des graminées et céréales = classe des Ustilaginomycètes ou rouilles)
– Cannabis Sativa (Marihua ?) (= chanvre)
– (Soporte ?) Algodon (?) (= Coton, support de coton ?)
– 2,4-Dimethylpiperidine
– Diastase of Malt (carbohydrat ?) (= Diastase de Malt, une enzyme du malt qui transforme l’amidon des céréales en sucre).
Si je résume, on a donc, en petites quantités, des fibres végétales (chanvre et coton), et des éléments (spores et diastases) qui évoquent la présence de graminées ou de céréales ; jusque là rien d’incompatible avec aucune hypothèse (« vraie » momie, momie composite ancienne ou fake moderne). La 2,4-diméthylpipéridine, un dérivé de la pipéridine, est essentiellement utilisée dans l’industrie pharmaceutique ; on peut supposer que sa présence à l’état de traces soit le résultat d’une contamination moderne, là encore cela n’a sans doute rien de significatif. Par contre la présence massive d’Amberlite est assez surprenante ; l’Amberlite est en effet le nom commercial d’une résine échangeuse d’ions, connue surtout pour ses applications en traitement de l’eau, mais dont les utilisations sont multiples.
Dans la vidéo, l’Amberlite est présentée comme étant de l’ambre, une résine végétale fossilisée (voir la mise à jour n°2 ci-dessous) ; on comprend pourquoi, Paul tenant à présenter les « momies » comme des artefacts authentiques et anciens, il a tout intérêt à entretenir la confusion. Or la composition chimique de l’Amberlite et celle de l’ambre sont totalement différentes : toutes deux sont des polymères, mais l’ambre est un polymère naturel d’isoprènes, alors que les résines échangeuses d’ions sont basées sur des polymères artificiels soit de styrènes (polystyrènes) soit plus rarement acryliques (polyacryliques). Que vient faire une telle résine artificielle moderne dans l’échantillon analysé ? La présence d’Amberlite ne s’explique pas vraiment, par contre on peut émettre une hypothèse basée sur le fonctionnement du spectroscope HazMatID : celui-ci est en effet équipé d’une base de données de spectres, et procède à l’identification du spectre de l’échantillon par comparaison avec sa base de données. Cette base de données n’est pas énorme, et est surtout centrée sur l’identification des produits dangereux (HazMat pour « Hazardous Materials ») en toxicologie : drogues, poisons, produits explosifs et toxiques divers ; ce matériel ne permet donc sans doute pas une identification exacte des molécules contenues dans l’échantillon, mais va identifier le spectre qui s’en rapproche le plus. Ce qui signifie que le produit présent dans la « momie » n’est peut-être pas de l’Amberlite, mais doit en être très proche en terme de composition, et est donc soit un polystyrène soit un polyacrylique. Or il me semble - que le lecteur me corrige si je me trompe - que les taxidermistes par exemple utilisent diverses résines, mastics et colles acryliques, polystyrènes, polyesters composites...
Quoi qu’il en soit, la présence en grande quantité dans l’échantillon analysé d’un polymère artificiel me semble peu compatible avec l’hypothèse d’une momie, même composite, ancienne... En attendant l’éventuelle publication des résultats des analyses de Thierry Jamin, annoncée au départ en mars/avril et aujourd’hui repoussée au mois de juin sous prétexte d’un « contrat de confidentialité », voilà qui ne va pas vraiment, malgré ce qu’annoncent Jaime Maussan et Thierry Jamin, dans le sens d’une révélation spectaculaire censée « chambouler l’histoire de l’humanité »...
Mise à jour le 1er mai 2017
Thierry Jamin a réagi à la vidéo de Paul le 29 avril en publiant à son tour une vidéo de « mise au point » sur Facebook : https://www.facebook.com/AlienProjectPeru/videos/1674386842865946/
Pas vraiment de réponse ou d’analyse sur les observations faites par Paul, mais un appel à ses fans à lui faire confiance et à rejeter sans discussion lesdites observations :
Je voudrais vous rassurer, n’écoutez absolument pas ce que raconte ce clown, ça n’a aucune valeur scientifique [...]. Cet individu n’a aucune qualification professionnelle, ce n’est ni un archéologue ni un anthropologue ni un biologiste pour pouvoir interpréter la signification de toutes ces choses [...]. Cette personne nous avait parlé au mois de février qu’il avait envoyé gratuitement dans 27 laboratoires à travers le monde 27 échantillons dont on attend encore les résultats ! Donc voilà, ne vous inquiétez pas, gardons notre calme, je voudrais simplement vous dire, mes chers internautes, faites-nous confiance, faites-moi confiance [...]. Je peux vous garantir que l’Institut Inkari a toutes les preuves scientifiques de la réalité à 100 % de cette affaire, nous avons même des réponses, déjà, des réponses sûres et certaines sur l’origine de ces corps, de ces organes.
Evidemment, ces réponses sûres et certaines et ces preuves scientifiques sont couvertes par le « contrat de confidentialité » évoqué plus haut, on n’en saura pas plus... Il est assez drôle de noter que tout ce que Thierry Jamin reproche à Paul (absence de qualifications, absence d’anthropologues et archéologues, absence de publication de résultats d’analyse...) peut tout à fait être retourné contre lui, qui en est au même point ! Par contre en terme de contenu, n’en déplaise à M. Jamin, il y en a dix fois plus dans la dernière vidéo de Paul et dans le texte de l’archéozoologue publié ici, que dans les vagues déclarations de ses médecins...
Je lui laisse cependant le mot de la fin :
Un contributeur du forum Alien Project m’accuse de ne pas avoir fait mon travail sérieusement :
Irna vient de publier une nouvelle page et elle se fatigue vraiment pour rien car elle fait un travail d’investigation bâclé. .. la pauvre. [...]
Sauf que, si cette pauvre Irna qui n’y connais visiblement rien, avait pris le temps de chercher, elle aurait appris que l’ambre jaune naturelle, en Anglais, s’appelle parfois Amberlite… C’est balo…
Il accompagne cette remarque d’un lien vers une discussion sur le site du Géoforum, où l’on trouve cette remarque à propos des noms des résines fossiles :
Et, le sujet se complique encore, car les noms vernaculaires (plus ou moins connus) ont forcément leurs correspondances étrangères qui portent à confusions, donnons l’exemple du matériel de la Nouvelle-zélande : Ambrite (en français) et Amberlite ou amberite (en anglais).
Damned ! Aurais-je fait une bourde, et le contributeur en question aurait-il démontré que « le travail fait par Irna est bâclé » ?
Cher contributeur Ulule Alien Project, vous me permettrez de vous retourner le compliment : il n’est jamais conseillé de se précipiter sur le premier résultat Google qui semble aller dans votre sens sans se renseigner un minimum !
On trouve effectivement en Nouvelle Zélande, au sein de veines de charbon, une variété de résine fossile généralement appelée « résinite » pour la distinguer de l’ambre au sens strict, et localement appelée parfois « ambrite », « amberite » ou « ambroite », voir par exemple ce livre page 17. Ce livre liste tous les synonymes d’ambre et tous les termes utilisés pour désigner les résinites proches de l’ambre dans toutes les langues pages 17 à 19 et dans son annexe D, le terme « Amberlite » n’y figure pas. A l’exception de la page de forum ci-dessus, dont l’auteur a probablement commis une erreur, on ne trouve nulle part une seule utilisation du mot « Amberlite » pour désigner une résine fossile naturelle ; que vous fassiez la recherche en français, en anglais ou dans n’importe quelle autre langue, vous ne le trouverez jamais utilisé autrement que pour désigner la marque commerciale des résines échangeuses d’ions fabriquées par Rohm and Haas. Je suppose que vous serez d’accord avec moi pour considérer qu’un cheval nommé Amberlite ou des cailloux de quartz vendus sous le même nom sont hors sujet !. De même, vous admettrez qu’il est difficile d’imaginer que le spectroscope HazMatID, utilisé par de nombreux services de police dans le monde, utiliserait dans ses analyses la définition littéraire anglais du mot amberlite, soit "une couleur marron-jaune"...
Bref, tournez les choses comme vous voulez, les Zitis de Nazca ne sont pas allés exploiter l’ambre de la Nouvelle Zélande ; par contre, quelqu’un a utilisé sur ces momies une résine synthétique... Sans rancune !
Depuis la mise en ligne de la vidéo de Paul/krawix999, Thierry Jamin, lorsqu’on lui pose la question de l’éventualité de momies composites, répond, par exemple dans cette vidéo, en argumentant que 1° seuls les « petits corps » de Paul sont « trafiqués » ou reconstitués, pas les autres dont il dispose, certifiés authentiques par des « scientifiques » ; et 2° qu’il a toujours su que certains des objets avaient été modifiés et qu’il le disait depuis le début. Or lorsqu’on lui posait la question fin novembre, justement sur un des corps dont Paul démontre qu’il s’agit d’une reconstitution, voici ce qu’il répondait (source) :
Sans commentaire...