
Beaucoup de pseudo-archéologues contestent l’analyse des papyrus de la mer Rouge, dont le Journal de Merer, tel que son inventeur, le professeur Pierre Tallet, l’a nommé [1]. En effet, s’il s’avère que le contenu des papyrus de la mer Rouge est exact, alors toutes les théories qui doutent de l’attribution de la Grande Pyramide construite par les Égyptiens et tombeau du souverain Khufu tombent à l’eau : finis les anciens astronautes, les survivants de l’Atlantide ou la grande civilisation avancée. La communauté scientifique ne doute pas de cette attribution, mise en avant par la tradition, par les textes et par les inscriptions, mais l’ensemble de ces papyrus apportent des preuves supplémentaires et un éclairage nouveau.
Ces papyrus ont été découverts par l’équipe de Pierre Tallet en 2013 sur le site d’un port de l’Ancien Empire au Ouadi el-Jarf, dans une descenderie en avant des galeries G-1 et G-2, cachant des bateaux, au sein d’un ensemble de pierres servant de bouchon à celles-ci [2]. Environ 600 fragments ont été mis au jour, dont le plus long mesure 80 centimètres [3]. Cela représente, selon Pierre Tallet et Mark Lehner, près de trente rouleaux (volumen). L’ensemble a été divisé en deux groupes : des journaux de bord, c’est-à-dire des comptes rendus d’activité (A, B, C, D, E, F et AA) et de la comptabilité (G, H, I, J, U) [4]. Ces papyrus ont été traduits et édités sous la direction de Pierre Tallet, et publiés par l’IFAO ; deux volumes ont été publiés, un troisième est sur le point de l’être [5]. Ce sont les seules éditions complètes avec appareil critique, versions que les pseudo-chercheurs ignorent.
A contrario, la communauté des pseudo-chercheurs refuse la véracité de ces papyrus et accuse les égyptologues de mensonges et de manipulations.
Pour ce groupe, et autant que pour l’ensemble de cette communauté de pseudo-chercheurs, tout est mis en œuvre pour discréditer ces sources, même sans les avoir lues.
Elles confirment clairement que la Grande Pyramide est la tombe de Khufu [6] ; et si elle est vraiment la tombe de Khufu, souverain de la IVe dynastie ayant régné aux environs de 2575-2550 avant notre ère [7] ou aux environs de 2636 à 2605 avant notre ère [8], 2605-2580 avant notre ère [9], alors toutes les théories alternatives s’effondrent. Ainsi, sous peine d’explosion cognitive, ils exigent plus et se lancent dans une hypercritique. Au lieu de chercher et de lire les sources, ils exigent des preuves supplémentaires : datation au carbone 14, description de toutes les étapes de la construction, précision que la mention Akhet Khufu fait bien référence à la pyramide, etc.
Et donc, comme ces papyrus ne peuvent être vrais, qu’ils ne sont pas la preuve de la construction de la pyramide par le souverain Khufu, alors il faut que ce soit une manipulation, comme le montre ce commentaire ci-dessous d’un clone de Michel Lasserre. Donc, pour certains pseudo-chercheurs, une source est un consensus, ce qui montre leur extrême incompétence en épistémologie.
À cette confusion, certains ajoutent une dose de théorie du complot. « Comme par hasard », les papyrus apparaissent pour soutenir la doxa égyptologique. Forcément, le milieu de la science complote contre les pseudo-chercheurs éveillés, comme le suggère monsieur Coilhac, inventeur d’un « codage architectural » et proche de madame Couvreur.
Donc, pour les pseudo-chercheurs, ces papyrus ne peuvent pas être une preuve, parce que voilà. Nous n’allons pas reprendre ici l’analyse des papyrus, nous allons nous atteler à démonter les arguments des pseudo-chercheurs. Ces derniers mettent en avant en général trois problèmes : les textes mentionnent-ils la pyramide ? Qu’est-ce qui prouve que ces papyrus datent du règne de Khufu ? Et enfin, le contenu décrit-il la construction de la pyramide ?
Renseignements sur la pyramide et son nom
Est-ce que ces documents mentionnent le souverain Khufu et sa pyramide ? Évidemment, si ces documents ne contiennent ni le nom du souverain, ni celui de la pyramide, le doute est légitime. En revanche, si le nom est présent, que des formules connues y sont retrouvées, alors cela montre que ces papyrus sont liés au souverain et à cette pyramide.
Rappelons que le souverain connu sous le nom grécisé de Chéops est appelé Khufu sous son nom de Nebty et Medjedou (ou Medjed) sous son nom d’Horus [10]. Ce nom ne peut être que celui du souverain, car il est placé dans un cartouche.
La pyramide est, quant à elle, connue sous le nom de Akhet Khufu (Horizon de Khufu). Ce terme était connu avant la découverte de ces papyrus, notamment dans des mastabas de fonctionnaires du règne de Khufu, tel celui de Qar [11]. Comme certains le prétendent, ce terme pourrait ne pas désigner la pyramide, mais renverrait de manière plus générale au plateau de Gizeh. Or, dans ces papyrus, le terme de Akhet Khufu est toujours accompagné d’un déterminatif, c’est-à-dire un signe qui détermine la fonction du mot qui le précède ; ici, le déterminatif est le signe mr, qui veut dire pyramide, et est donc employé comme déterminatif pour signifier que le mot qui précède est effectivement un bâtiment de type pyramide (et non autre chose). Ainsi, Akhet Khufu est toujours présenté comme cela :
La traduction littérale est donc « la pyramide Horizon de Khufu ». On a donc bien à faire au nom de la pyramide.
Retrouve-t-on ces deux termes dans les papyrus de la mer Rouge ? Eh bien oui, dans les papyrus A et B, par exemple, on voit apparaître le nom de Khufu dans son cartouche, ce qui le rend aisément identifiable [12]. C’est aussi le cas du terme Akhet Khufu, présent dans les mêmes papyrus.
Datation de ces documents
Une des questions posées par les pseudo-historiens est la datation de ces papyrus. Et comme une datation au carbone 14 n’a pas été effectuée, ils y voient une manière de masquer la réalité et de ne pas dire que ces papyrus ne datent pas du règne de Khufu. Les papyrus sont fragiles et sont datables d’une autre manière, ce qui rend la datation C14 inutile.
On a ici un paradoxe intéressant : pour certains pseudo-chercheurs, le C14 n’est pas fiable ; pour d’autres, il devient une preuve absolue. Or, la datation au C14 n’est pas la seule méthode employée et fiable. Dans le cas des papyrus de Merer, la datation est obtenue de plusieurs manières : par le contexte de fouille et l’analyse externe et interne du texte.
Le contexte de fouille, c’est l’endroit où les papyrus ont été découverts. Ils ont été mis au jour dans le port de Ouadi al-Jarf, sur les bords de la mer Rouge, dans un puits encastré dans les pierres verrouillant l’entrée des galeries G-1 et G-2 [13].
Cette position isole l’unité stratigraphique. Cela veut dire qu’une fois les bouchons posés, les artefacts qui y sont placés n’ont pas été modifiés par l’homme et que la datation n’a pas été altérée par une action anthropique [14]. Donc, si un ou plusieurs objets dans cette unité stratigraphiques sont datés, par exemple par la présence d’un nom connu par ailleurs, cela permet de dater l’ensemble des objets de cette unité. De plus, si on y trouve plusieurs objets dans cette unité, le plus ancien nous donnera le terminus post quem (la date à partir de laquelle cette unité stratigraphique est datée) et le plus récent, le terminus ante quem (la date jusqu’à laquelle cette unité stratigraphique peut être datée) [15]. Tous les éléments de cette unité stratigraphique forment un ensemble abandonné à la même date. Qu’est-ce qui nous permet dès lors de dater cette unité stratigraphique ?
D’abord, les sceaux sur les fermetures portent le nom de Khufu, ce qui témoigne du fait que ces portes n’ont pas été ouvertes après le règne du souverain de la IVe dynastie [16]. C’est le principe du sceau, que l’on trouve notamment en Égypte : il est apposé par l’équipe qui a procédé à la fermeture du lieu. En termes chronologiques, c’est fort utile.
Deuxième élément de contexte, les artefacts découverts sur le site datent également du règne de Khufu, tel ce sceau-cylindre désignant le pharaon [17]. Ces éléments montrent donc que le port et les sources écrites et matérielles découvertes ne peuvent être postérieurs à Khufu. Cela veut dire aussi, pour tout de suite couper l’herbe sous le pied des pseudo-chercheurs, que les papyrus n’ont pas pu être ajoutés après le règne de Khufu, puisque les grottes ont été scellées lors de celui-ci. Sur le port lui-même, on a découvert des marques de l’époque de Snéfrou, date où le port a été le plus employé.
Troisième élément de datation, l’analyse externe du document, c’est-à-dire le support et le script. Le support, c’est du papyrus, un support d’écriture classique de l’Égypte ancienne, formé de fibre de roseaux poussant notamment dans le Nil [18]. Les plus anciens ont été découverts dans le mastaba du chancelier Hemeka, actif lors du règne du souverain Den [19]. Ils sont écrits en hiératique, une version plus cursive du hiéroglyphique, attestée dans d’autres documents administratifs écrits de l’Ancien Empire [20].
Enfin, les papyrus eux-mêmes sont datables, par leur contenu, le type d’écriture ou les dates qui y sont mentionnées. Il se trouve qu’un des papyrus est daté. Il y est inscrit « l’année après le 13e recensement de [l’ensemble] du grand et du petit bétail (de) l’Horus Medjedou » [21]. Cette phrase est très claire : ce papyrus a été rédigé pendant le règne de Khufu/Medjedou, précisément lors du recensement du bétail. Cette opération est connue comme une tournée administrative afin de compter les troupeaux appartenant à la maison du souverain [22]. Traditionnellement, ces recensements ont lieu tous les deux ans, ce qui date ce document de la 26e ou 27e année du règne de Khufu [23]. Toutefois, une étude en cours montre qu’il semble que ces recensements ne soient pas aussi réguliers, mais le débat n’est pas clos [24]. Néanmoins, cela veut dire que ces papyrus ont bien été rédigés pendant le règne de Khufu et cela correspond également à une marque inédite d’une des fosses à bateau associées à la Grande Pyramide, qui indique également l’année du 14e recensement et qui semble être sa dernière année de règne [25].
Donc, sans avoir besoin de moyens physico-chimiques, par une analyse interne et externe du contexte et des documents, on peut bien conclure que ces documents datent du règne de Khufu.
Contenu
Enfin, le contenu évoque-t-il la construction de la pyramide ? Comme nous l’avons vu, ces papyrus parlent bien du site de la construction de la pyramide et sont datés du règne de ce souverain.
L’analyse de leur contenu, et particulièrement les papyrus A et B, explique des travaux à la fois en lien avec le chantier et sa logistique. Le papyrus A, notamment, dans sa section A2, relate les travaux que l’inspecteur Merer effectue sur la digue du bassin du chantier de la pyramide, Ro-She Khufu [26]. Dans cette partie, on a donc l’organisation du port au pied de la pyramide.
Le papyrus B évoque encore plus précisément le chantier de construction, puisqu’il est un journal relatif au transport des pierres des carrières de Turah au chantier de la pyramide. Six sections (B1 à B4, BX et BY) détaillent ces transports [27].
L’acheminement de matières premières sur un chantier et le détail de sa logistique sont deux aspects qui décrivent bien une partie de la construction de la pyramide. L’inspecteur Merer, n’en déplaise à madame Couvreur, a bien vu de ses yeux la construction de cette pyramide dans son stade final. Une personne qui passe devant un chantier ou un sous-traitant qui livre des matières premières sur ce chantier est bien un témoin oculaire de ce chantier. En outre, un contremaître dont une des missions est de s’occuper de la logistique et d’apporter des matières premières essentielles à la finition du chantier n’est même plus un
témoin, mais bien un acteur de ce chantier. À titre de comparaison, les chefs d’équipe et les ouvriers qui sont venus livrer du béton au Stade de France sont bien des témoins de la construction et ont participé, de près ou de loin, à ce chantier.
Dernier élément, l’ensemble des papyrus confirment qu’Akhet Khufu, la pyramide, est bien un tombeau destiné à Khufu. Les textes mettent en avant un personnage, Ankhaef, dont l’importance comme haut fonctionnaire de Khufu est attestée par l’envergure de sa tombe, et qui est désigné dans un autre texte comme « directeur de tous les travaux du roi », mais également par un titre inédit, celui de « directeur de la fondation funéraire du roi » [28]. Les papyrus de la mer Rouge le nomment à plusieurs reprises, dont une avec le titre de directeur de Ro-Shé Khufu, c’est-à-dire le directeur du port du roi [29].
Cette simple constatation et ce simple élément devraient suffire, mais ce n’est jamais suffisant. Les pseudo-chercheurs sont ici confrontés à une source solide. Il ne faut pas qu’elle soit vraie, au même titre que les inscriptions dans les chambres de décharge.
Par ailleurs, le contenu atteste bien que ces sources expliquent une partie du chantier de la pyramide et confirment qu’il s’agit bien du tombeau du souverain.
Conclusion
Pour les pseudo-archéologues, ces papyrus ne peuvent dire vrai. Et confrontés à cette nouvelle source qui renforce les hypothèses archéologiques et assoit le consensus scientifique, ils ne peuvent que le rejeter sans l’étudier. Et ce rejet leur permet de conserver leur dogme, un dogme ancien, qui remonte à l’ouvrage d’Ignatius Donnelly (1882).
De fait, ces papyrus sont bien un témoignage de la construction de la pyramide de Khufu, que seuls l’aveuglement et les croyances des pseudo-archéologues empêchent de comprendre. De ce fait, afin de ne pas être confrontés à la réalité et de rester dans leurs dogmes, ces bonimenteurs de foire préfèrent écarter ces documents sans même les étudier, ou de manière très partielle. Ainsi, madame Julie Couvreur les disqualifie d’entrée et monsieur Lasserre, qui n’a pas lu 10 % des documents et rien de leur analyse critique, affirme que le professeur Tallet a construit une fiction. Mais, c’est normal. S’ils acceptaient le contenu de ces documents, alors l’ensemble de leurs croyances et leurs petites entreprises de désinformation autour des pyramides s’écrouleraient. Ainsi, comme de bons croyants défendant leur secte, ils repoussent ces documents et, en dépit de toute logique, construisent un discours dogmatique.
Ces documents et le rejet par le groupe des pseudo-chercheurs sont une indication de l’aveuglement et de la mauvaise foi de ces derniers. Pour conserver leur « position » et surtout leurs revenus, ils sont obligés de rejeter des sources pourtant solides.