Momies de Nasca : La communauté scientifique nationale et internationale s’exprime à nouveau
Article mis en ligne le 22 septembre 2022

par Luca

Auteur : Luca, membre de la Société humaniste séculière du Pérou
Article original en espagnol publié sur le site de la Société : http://descreidos.utero.pe/2022/09/15/momias-de-nasca-la-comunidad-cientifica-nacional-e-internacional-se-vuelve-a-pronunciar/

Dans des articles précédents, nous avons analysé certains des événements les plus importants qui se sont produits au cours des cinq dernières années concernant la découverte supposée de momies à trois doigts à Nasca (1, 2). De même, nous avons recueilli les déclarations émises à ce sujet, dans différents pays, par des spécialistes de l’étude et de la conservation des restes humains. Leurs conclusions ont convergé vers un rejet unanime qui explique la raison de l’indifférence académique envers l’investigation de ces corps. Dès le début, la communauté scientifique nationale et internationale a averti le grand public et les autorités compétentes que ces corps étaient en réalité des restes préhispaniques dont l’apparence avait été modifiée à des fins médiatiques.

Depuis lors, peu de choses ont changé. Ceux qui promeuvent et financent le récit qui soutient le caractère anormal de ces vestiges continuent à produire des contenus audiovisuels sur cette histoire, et annoncent chaque année de nouvelles analyses. Selon le ministère de la Culture (Mincul) et des universitaires de différents domaines, les recherches et l’exportation d’échantillons ont été effectuées sans aucune autorisation (1, 2, 3, 4). Ces dernières semaines, des vidéos circulant sur les réseaux sociaux et des articles évoquent un secret de polichinelle : l’exportation de « corps » (1, 2). Et comme si cela ne suffisait pas, des expositions à caractère ufologique sont organisées au Mexique, renforçant « l’incertitude » sur l’origine de ces restes (1, 2, 3).

Il convient de noter que le 19 avril, le pouvoir judiciaire a condamné le découvreur présumé de ces momies. Leandro Benedicto Rivera Sarmiento, alias Mario, a été condamné à quatre ans de prison et au paiement de 25 000 $ (6 467,98 $US) pour crime contre les biens culturels sous la forme d’atteinte aux Monuments Archéologiques au détriment de l’État. Deux semaines plus tard, le Mincul a publié un communiqué de presse, dans lequel il donne plus de détails sur la sentence.

Cependant, les momies n’ont pas été saisies. Depuis 2019, elles restent - sous une garde douteuse - à l’Université nationale San Luis Gonzaga d’Ica (UNICA), où un groupe de professeurs prétend les examiner pour déterminer leur authenticité. À l’époque, la Direction décentralisée de la culture d’Ica a exhorté sans succès les autorités universitaires à remettre tous les vestiges archéologiques dont elles disposaient au Mincul.

C’est dans ce contexte qu’il y a quelques jours, des membres de la communauté scientifique nationale et internationale ont décidé de renouveler la déclaration qu’ils avaient formulée sur cette affaire il y a cinq ans. La déclaration actuelle est disponible en quatre langues - espagnol, anglais, français et russe - et compte plus de cinquante adhésions de chercheurs affiliés à d’importantes institutions et centres de recherche de différents pays. À cet égard, nous nous sommes entretenus brièvement avec deux de ses promoteurs.

Rodolfo Salas-Gismondi

Il y a cinq ans, vous avez publié une série d’articles sur ce sujet. Quelle est votre opinion sur la situation actuelle ?
Rodolfo Salas-Gismondi : Je considère que la situation est grave pour plusieurs raisons. Premièrement, ils trompent et trichent de manière flagrante au détriment de notre patrimoine et de notre héritage historique. Deuxièmement, les autorités envoient un mauvais message en ne confrontant pas la fraude à des arguments scientifiques et juridiques. Troisièmement, le mérite des réalisations exceptionnelles de nos cultures originelles est attribué à d’autres entités supérieures. Je vois la nécessité de lutter, scientifiques et autorités ensemble, contre cette fraude.

Quel est, selon vous, le plus grand risque si les autorités ne prennent pas de mesures à ce sujet ?
RSG : Le plus grand risque est que cette façon d’agir se répète et prolifère dans d’autres parties du pays. Il y a un risque de perdre un important héritage historique et culturel. Les actions criminelles de ces personnes ne peuvent et ne doivent pas être prises comme exemple. Nous ne pouvons pas rester passifs et les laisser continuer à piétiner notre patrimoine et notre identité. Non seulement ils détruisent l’héritage historique, mais ils rejettent également les réalisations de nos civilisations originelles en les attribuant à des aliens.

Rodolfo Salas-Gismondi est chercheur et professeur à la Faculté des sciences et de philosophie de l’Universidad Peruana Cayetano Heredia. Il est docteur en paléontologie de l’Université de Montpellier et chercheur associé à l’American Museum of Natural History de New York. Il est également le fondateur et le chef du département de paléontologie des vertébrés du musée d’histoire naturelle de l’UNMSM.

Guido Lombardi Almonacin

Les autorités compétentes pour la protection du patrimoine culturel sont-elles responsables de la situation actuelle de ces vestiges ?
Guido Lombardi : Il est clair que la responsabilité de ce qui s’est passé, en principe, est celle des pilleurs et des promoteurs de la fraude, du pillage avec "valeur ajoutée". Cependant, la situation exacte des restes en question, après que 5 ans se sont écoulés, est de l’entière responsabilité des autorités compétentes, du niveau local au niveau national. Dans ce cas, l’indulgence ne peut se comprendre, puisque la découverte de cadavres d’origine incertaine doit toujours passer par le filtre de la police. Un autre élément particulièrement troublant est la responsabilité de l’université, qui empêche également le bon déroulement de l’expertise médico-légale nécessaire dans de tels cas. Un dernier niveau de responsabilité se situe au niveau du public consommateur de l’intrigue concoctée par les producteurs de la fraude.

Le communiqué exhorte le Mincul, le ministère public et la police nationale du Pérou à saisir les vestiges archéologiques de l’UNICA. Est-ce la demande la plus urgente du communiqué ?
GL : Sans aucun doute, car le processus est arrêté tant que la séquestration des preuves se poursuit. Dès que cela sera résolu, l’enquête des experts exposera clairement ce qui s’est passé. D’autre part, il convient de mentionner que dans la communauté scientifique, nous devons réfléchir à ce qui s’est passé, car en continuant à enquêter, nous perdons parfois le contact avec le grand public, qui est laissé à la merci d’abus tels que cette fraude.

Ces dernières années, les réseaux sociaux et certains médias corporatifs ont contribué à propager des pseudothéories qui remettent en question la capacité technologique des cultures préhispaniques. Pensez-vous qu’en Amérique latine, nous sommes conscients de la gravité de ce type d’affirmation ?
GL : Au niveau des chercheurs, il n’y a aucun doute sur le grand développement atteint par les civilisations précolombiennes. Comme je l’ai déjà mentionné, nous pouvons être tranquilles avec ce que nous étudions et recherchons. Heureux avec ce que nous divulguons dans les congrès et publions dans les revues spécialisées, mais ces informations n’atteignent tout simplement pas le grand public. Il est très grave que les gens soient laissés si vulnérables à la manipulation de la vérité à tous les niveaux.

Le Dr Guido Lombardi Almonacín est chirurgien, anthropologue physique et chercheur associé à la chaire Pedro Weiss de l’Universidad Peruana Cayetano Heredia. Coordinateur au Pérou du Groupe Horus pour la recherche en paléocardiologie, membre correspondant de la Société colombienne d’histoire de la médecine et directeur de la recherche et du développement scientifique du Conseil du patrimoine sanitaire au Pérou.


Transcription :

DÉCLARATION DE LA COMMUNAUTÉ SCIENTIFIQUE CONCERNANT LA FRAUDE DES MOMIES EXTRATERRESTRES : 5 ANS APRÈS

Les signataires de ce document, membres de la communauté scientifique nationale et internationale, experts dans l’étude et la conservation des restes humains (momies et squelettes), communiquent ce qui suit :

ANTÉCÉDENTS

Points exprimés le 10 juillet 2017

1.- Depuis quelque temps, la soi-disant découverte de « momies extraterrestres » dans notre pays est promue par une campagne de désinformation irresponsable.

2.- Les témoignages et les images publiées permettent d’affirmer que ces découvertes correspondent sans doute possible à des restes humains précolombiens - patrimoine culturel de la nation - volontairement manipulés et même mutilés pour obtenir une apparence ad hoc en vue de leur exploitation commerciale. En outre, l’exclusion de tout contexte archéologique connexe va à l’encontre de la recherche scientifique sur ce type de biens culturels.

3- Il est du devoir des autorités de mener les procédures légales nécessaires, car cette « production » a enfreint les nombreuses règles nationales et internationales qui protègent le patrimoine culturel. Nous espérons que ces mêmes autorités chercheront à assurer la protection et l’étude appropriées de ces restes, ainsi que de leur lieu d’origine, afin d’arrêter le pillage et le trafic de restes humains. Nous attendons également des sanctions exemplaires pour les responsables de cette prédation du patrimoine qui appartient à tous les Péruviens et à toute l’humanité.

4 - Enfin, ces manipulations illégales et criminelles de restes humains violent la dignité humaine. En particulier, l’exploitation de momies précolombiennes par ces personnes est une agression et une offense envers la Culture Andine, en faisant croire que ses réalisations sont liées à une prétendue « aide extérieure ».
Nous offrons nos meilleurs services pour collaborer avec les autorités afin de démontrer nos affirmations auprès des instances concernées. Nous proposons également de participer à des activités contribuant à défendre et à promouvoir l’importance de notre patrimoine culturel, héritage de nos ancêtres.

Lima, le 10 juillet 2017

Sonia Guillén O’negglio (DNI 04649168), Guido Lombardi Almonacín (DNI 06959233), Elsa Tomasto-Cagigao (DNI 07258405), María del Carmen Vega Dulanto (DNI 10308912), Mellisa Lund Valle (DNI 07763061), Patricia Maita (DNI 25835019), Martha Palma (DNI 10537749), Carlos Herz Sáenz (DNI 07913390), Alejandra Valverde Barbosa (DNI 48813194), Marcela Urizar Vergara (CI 11347428-9).

SITUATION ACTUELLE : SEPTEMBRE 2022

1.- Les producteurs de ce canular, loin de prévenir le public de la supercherie sur laquelle repose l’affaire, ont poursuivi leurs efforts visant à exploiter médiatiquement ces restes humains et animaux précolombiens. L’informalité et l’illégalité de leurs actions ont été protégées par la faiblesse de certaines autorités qui travaillent dans des institutions appelées à défendre le patrimoine péruvien.

2.- Actuellement, outre la distribution de documentaires et de séries à la demande par abonnement (VOD), des expositions pseudo-éducatives sont organisées et des contenus audiovisuels liés aux récits qui appuient la fraude continuent d’être produits.

3.- Les soussignés souscrivent à TOUS les points exprimés il y a 5 ans et expriment leur préoccupation auprès du Ministère de la Culture, du Ministère Public et de la Police Nationale du Pérou afin que le matériel archéologique impliqué soit saisi. Actuellement, le huaquero à l’initiative de cette fraude a déjà été jugé et condamné. L’ensemble du processus doit maintenant faire l’objet d’une enquête, afin que toutes les personnes responsables des crimes commis soient jugées, condamnées et extradées le cas échéant, en particulier celles liées aux institutions de l’État.

4.- De même, nous sommes solidaires des Associations Professionnelles du Pérou, dont les codes d’éthique, les organes théoriques et les images publiques ont été violés au cours des cinq dernières années. Dans la diffusion de cette fraude, on a essayé de discréditer leurs recherches avec des récits fallacieux dans lesquels on affirme que les membres de la communauté scientifique péruvienne (archéologues, anthropologues, biologistes, etc.) agissent pour cacher la vérité.

5- Nous exprimons notre préoccupation devant le Gouvernement du Pérou pour la violation de l’image nationale du Pérou, et la dégradation de l’image de nos ancêtres, en suggérant que les grandes réalisations de nos ancêtres ont été obtenues grâce à l’aide fantaisiste d’extraterrestres.

6.- Enfin, nous demandons instamment au gouvernement péruvien d’intenter une action internationale en dommages et intérêts contre ceux qui sont responsables du financement et de la promotion de la commission de crimes contre notre patrimoine culturel. La compensation économique obtenue pourrait légitimement être dirigée vers l’investigation scientifique adéquate de centaines de sites archéologiques dont l’étude est reportée et dont le développement apporterait un progrès légitime à de nombreuses communautés.

Lima, 6 septembre 2022.

Soutiens :
Rodolfo Salas Gismondi (DNI 07867419), Guido Lombardi Almonacín (DNI 06959233), Sonia Guilen Oneeglio (DNI 4649168), Elsa Tomasto Cagigao (DNI 07258405), María del Carmen Vega Dulanto (DNI 10308912), Mellisa Lund Valle (DNI 7763061), Patricia Karina Maita Agurto (DNI 25835019), Carlos Herz Sáenz (DNI 07913390).

Pérou :
Solange Ariana Arce Patri (DNI 75092146), Carlos Lopez Manchego (DNI 40484194), Teobalda Inés Ramos Quispe (DNI 28812926), Lizbeth Nicolaza Palacios Astiyauri (DNI 70171420), Roy Jorge Lazo Perez (DNI 09351705), Eyne Omar Bendezú de la Cruz ( DNI 21550224), Claudio Sebastian Ticse Rengifo (DNI 71275511), José Luis Quispe Orosco (DNI 43195546), Rubén García Soto (DNI 06217714), Carlos Alfredo Fuentes Romero (DNI 47433679), Carmelo Chaparro (DNI 9407056), Jair Gustavo Quispe García (DNI 74634765), Grecia Roque Ortega (DNI 70548175), Juan José Chan Lau (DNI 8273084), Beatriz Becerra (DNI 8201595), Rosanna Elvira Morales Guzman-Barron (DNI 7842991), Lourdes Valdez (DNI 7894657), Edwin Alberto Maraví Zavala (DNI 8201154), Anton Samplonius Angobaldo (DNI 7251687), Vicente Paul Ramos (DNI 15998785), Alejandro Neyra (DNI 10263943), Leslie Carol Urteaga Peña (DNI 40647634), Denise Pozzi-Escot (DNI 7564563), Carmen Rosa Uceda Brignole (DNI 7039060), Aldo Marcelo Benites Palomino (DNI 71560045), Julia Vic toria Tejada Lara (DNI 42051191), Diana Ochoa (DNI 1481837), Susana Cárdenas Alayza (DNI 41835464), Mariana Mould vda. de Pease (DNI 07829661).

Chili :
Marcela Urizar Vergara (F46418170), Carlos Hugo Coros Villca (7219933-2), Verónica Silva Pinto (130629121), Juan Enrique Bostelmann Torrealba (12131380-4).

France :
Jean-Loïc Le Quellec (18D333301), Julien Benoit (100534300523), Matthieu Carré (17AR93751), Alexis Seydoux (16FV0173216), Alain Froment (180375R50608).

Russie :
Alexander Sokolov (4019 572463), Aleksey Bondarev (5205026074), Stanislav Drobyshevsky (655384).

Mexique :
Josefina Mansilla Lory (15216894), Jorge A. Gómez-Valdés (40252406).

Colombie :
Bibiana Andrea Cadena Duarte (52704777), Alejandra María Valverde Barbosa (52713551).

États-Unis :
Jaime Boero (B600-4216-6178-05), Karl Reinhard (560089460).

Espagne :
Mercedes González (DNI 05346305R), Francisco Etxeberria Gabilondo (15923673Z).

Argentine :
Carolina Acosta Hospitaleche (24363368).

Italie :
Dario Piombino-Mascali (37709161508).