Article écrit par Luca, membre de la Sociedad Secular Humanista del Perú, dont l’original en espagnol a été publié sur le site http://descreidos.utero.pe/. Traduction anglaise également disponible ici.
Le Congressiste Armando Villanueva ne semble pas vouloir renoncer à son projet extravagant de loi déclarant d’intérêt historique et culturel les recherches sur les « momies de Nazca ». Comme beaucoup s’en souviendront, c’est le parlementaire qui a organisé la conférence qui s’est tenue dans une des salles du Congrès de la République.
L’équipe russe
Les stars de cette matinée ont été les conférenciers russes, le pseudoscientifique mondialement connu Konstantin Korotkov et son ami l’odontologue Dmitry Galetsky.
Korotkov mène les investigations sur les « momies de Nazca » pour le compte du producteur américain GAIA, un genre de Netflix ésotérique, qui finance les recherches. Depuis le lancement de la série pay-per-view des momies de Nazca par GAIA, la société a encaissé près de 30 millions de dollars de revenu, rien que pour 2017.
Korotkov est aussi connu en Russie comme pseudoscientifique, et il est recensé sur le wiki russe de la pseudoscience, Freakopedia. En sus de sa collaboration avec GAIA, Korotkov fait la promotion d’une caméra qui, selon lui, photographie les âmes et dont le prix est de 1800 $ US dans sa version 2.0.
Korotkov prétend être professeur à l’Université ITMO de Saint-Pétersbourg. Toutefois cette Université dément toute relation avec lui, ce qui se confirme lorsqu’on consulte le site web de l’Université, où Korotkov n’apparaît nulle part dans la liste des enseignants.
Korotkov est en relation depuis plus de dix ans avec GAIA, et c’est lui qui a interprété plusieurs des rapports émis par les laboratoires ayant reçu des échantillons des « momies humanoïdes ». Ses conclusions étaient si absurdes que des sites d’information bien connus comme RT ou Telesur ont dû corriger leur article ou ajouter un avertissement au lecteur à propos du parcours controversé de Korotkov.
D’autre part Dmitry Galetsky, dentiste diplômé en 1996 de l’Université d’Etat Pavlov de Saint Petersbourg, exerce actuellement comme chirurgien-dentiste dans une clinique dentaire de Saint Petersbourg. L’intervention de Galetsky dans la salle du Congrès a atteint un sommet lorsqu’il s’est mis à parler d’embryologie. Vous avez bien lu : un chirurgien-dentiste qui parle d’embryologie, d’anthropologie et de physiologie du système reproductif.
L’équipe mexicaine
Les autres stars de la matinée viennent du Mexique : le Dr José de Jesús Zalce Benítez et le biologiste José de la Cruz Ríos López. Ces deux professionnels sont remis en question parce qu’ils sont proches de Jaime Maussan, et parce que dans le passé ils ont soutenu les « recherches ufologiques » de celui qui est souvent considéré comme le plus grand promoteur « d’erreurs » ufologiques. Tout ce qui touche à Jaime Maussan déclenche la sonnette d’alarme à la fraude : ce n’est pas par hasard que les moteurs de recherches associent son nom au mot hoax depuis plus d’une décade et dans toutes les langues.
De Colombie aussi
L’interprétation des rapports ADN a été confiée à Clara Martinez, qui défend le projet tridactyle sur YouTube ; il s’agit d’une ingénieure agronome de nationalité colombienne, qui a pris un cours intensif en ligne de génétique forensique pour l’occasion.
Le rare public assistant à la présentation ce matin-là était constitué d’ufologues et d’amis de Thierry Jamin, un aventurier français bien connu basé à Cuzco, directeur de l’ONG Inkari et initiateur de l’Alien Project qui a recueilli 44 393 $ (39 510 €) de dons pour « commencer les recherches » en mars 2017.
Le nœud du problème
Le nœud du problème est que les supposées « momies humanoïdes » sont de vraies momies préhispaniques, pillées et modifiées pour les faire ressembler à des aliens, comme cela a été démontré par l’excellent paléontologue péruvien Rodolfo Salas Gismondi il y a plus d’un an. Mais d’autres que lui ont également débunké ce hoax.
En juillet 2017 le chercheur et documentaliste Steve Mera a eu accès à toutes les « momies de Nazca » pendant sa visite au Pérou. Après avoir analysé les échantillons d’ADN et les rapports, son équipe de professionnels a conclu que la plus grande momie, appelée « Maria », est le seul corps réel de la collection, mais assure qu’elle a été altérée, de façon professionnelle, par des huaqueros, afin d’augmenter sa valeur sur le marché noir. En août 2018 Steve Mera a sorti un documentaire sur l’affaire.
En septembre 2017, Konstantin Korotkov, mentionné plus haut, a contacté l’équipe d’anthropologues et de paléozoologistes du site russe Antropogenez.ru, et leur a confié plus d’1 GB de données sur toutes les momies dans l’espoir d’obtenir un verdict favorable aux intérêts de GAIA. Les données transmises incluaient des radiographies, des tomographies et des photos de toutes les momies. Un mois plus tard l’équipe d’Antropogenez.ru contactait Korotkov pour l’informer des résultats, mais Korotkov a ignoré leur rapport et continué comme si de rien n’était. Pourquoi ? parce les anthropologues sont arrivés à la conclusion qu’il s’agissait de momies préhispaniques modifiées.
En octobre 2017, Alain Froment et Fabrice Demeter, anthropologues au Musée de l’Homme à Paris (un des plus importants musées anthropologiques du monde), ont eu accès à plus de 5 GB de données sur toutes les momies, comprenant des radiographies, des photos et des tomographies des « momies humanoïdes ». Ils ont débunké le hoax en direct au cours d’une émission de la chaîne française BTLV.
Le 19 novembre 2018 l’Association péruvienne d’Astrobiologie a organisé à l’Université Nationale de San Marcos une analyse scientifique des « momies de Nazca ». L’équipe de scientifiques péruviens était dirigée par le Dr Flavio Estrada, archéologue forensique et membre fondateur de l’Institut de Médecine légale et de Sciences forensiques du Ministère public du Pérou. Le matériel qu’ils ont analysé est le même que celui des anthropologues du Musée de l’Homme et des anthropologues russes de Antropogenez.ru. Les conclusions furent les mêmes : momies préhispaniques modifiées et petits corps recomposés avec des os de nouveaux nés et d’animaux.
Pour finir, le 26 janvier l’Association archéologique de l’Université de Bourgogne, en France, a fait une déclaration sur Facebook, dans laquelle elle condamne la promotion des « momies humanoïdes », décrites comme un « désastre archéologique ».
Où les momies sont-elles apparues ?
Il n’y a aucun contexte archéologique. Les momies sont apparues soudainement à Palpa aux mains de Leandro Benedicto Rivera Sarmiento, alias « Mario ». « Mario » a été arrêté en 2007 pour falsification de billets et d’or, et en 2010 pour son appartenance au gang criminel « Les Palpeños d’Ica », gang qui faisait du trafic de momies et de textiles de la culture de Nazca. Actuellement l’emplacement exact des momies est inconnu, seuls les promoteurs de l’affaire y ont accès. L’explication en est évidente : une analyse rigoureuse des momies signifierait la fin de ce cirque.
Il est important de mentionner que Jaime Maussan et l’équipe de « promoteurs » de l’affaire cherchent à diaboliser le Ministère de la Culture et tous ceux qui sont opposés aux « momies de Nazca », en les accusant d’essayer de cacher la vérité. Et comme si ce n’était pas suffisant, Jaime Maussan offre 40 000 $ de récompense à qui arriverait à « construire » une momie similaire. Cette annonce a été férocement critiquée sur les réseaux sociaux, car considérée comme une incitation ouverte à la profanation du patrimoine culturel péruvien.
L’aide du Congressiste Armando Villanueva
Malgré tous ces indices de fraude, et en dépit de l’ouverture d’une enquête par le Ministère Public, à la demande du Ministère de la Culture, pour crime contre le patrimoine archéologique - enquête étrangement bloquée sur le bureau du procureur de Palpa depuis plus d’un an - le Congressiste Armando Villanueva a eu diverses activités au service des promoteurs du hoax. En novembre de l’année dernière le parlementaire a expliqué au magazine d’information péruvien Hildebrandt en sus Trece qu’il avait pris les arrangements nécessaires pour que des scans CT de toutes les momies soient réalisés, et ce en utilisant les scanners les plus performants d’un hôpital de la Sécurité Sociale à Cuzco.
Ces dernières semaines les promoteurs de l’affaire ont annoncé sur Facebook de nouvelles investigations dans le cadre de l’Université Nationale San Luis Gonzaga d’Ica, ce qui a provoqué l’indignation du Centre des Étudiants en Archéologie de cette université qui a émis une déclaration condamnant « une action frauduleuse contre notre patrimoine ». Les professeurs de l’École d’Archéologie de la même université ont également manifesté leur indignation et leur rejet par une lettre ouverte au public.
Là aussi le Congressiste organise, avec Jaime Maussan, les ufologues, l’ONG Inkari, et les professeurs de cette université, la possibilité de recherches communes de l’université et des « scientifiques » de Jaime Maussan et Inkari sur les « momies de Nazca ».
Il est choquant qu’un parlementaire abuse de sa position pour détourner l’usage de ressources publiques au profit d’intérêts privés, dans une affaire qui nuit fortement à l’image de notre patrimoine culturel. Mais il est encore plus inquiétant, du point de vue plus général du niveau culturel de la société, que cette fraude ait fait tant de progrès dans l’opinion publique. C’est le Ministère de la Culture qui est dans l’œil du cyclone, mais le Ministère de l’Éducation devrait bien se faire du souci également.