Pseudo-archéologie, dialogue et censure
Article mis en ligne le 27 février 2025

par Alexis Seydoux

La sphère de la pseudo-archéologie use de méthodes qui sont toujours les mêmes : mettre en avant un discours simplificateur. Selon ses tenants, les chercheurs, archéologues, historiens, historiens de l’art, sont bloqués dans leur « dogme », alors qu’eux apportent une nouvelle « vérité », fondée sur « leur bon sens », la « logique » ou les « sciences dures ». Cette opposition, c’est celle du petit chercheur indépendant qui, seul contre tous – l’université, l’Église ou l’État, découvre la « vérité ». C’est ce qui est surnommé le syndrome de Galilée, en souvenir du savant italien condamné par l’Église en 1633 [1]. Les pseudo-archéologues ont leurs héros : Galilée, bien sûr, ou Tesla, le savant croate, inventeur de « l’énergie libre », mort dans la misère, qui aurait été abattu par la « science officielle ».

Le syndrome de Galilée est une construction, un biais. Une découverte n’émerge pas de manière autonome. Elle est le fruit d’un environnement mental, intellectuel et scientifique. Les révolutions scientifiques, c’est-à-dire la remise en cause des paradigmes, émergent dans un contexte spécifique, très bien décrit par Thomas Kuhn [2].

Mais les pseudo-archéologues pensent chambouler la « science normale » [3], en bousculant la recherche sur les civilisations anciennes. Surtout, ils pensent que l’archéologie est bloquée dans une sorte de dogme et n’accepte pas de changer. Cette posture est déjà celle des pseudo-archéologues des années 1960. Robert Charroux, par exemple, dans son premier ouvrage, indique que les savants de son temps refusent d’admettre l’authenticité des écritures de Glozel, car les scientifiques tiennent la recherche [4]. Dans son ouvrage sur les Andes, ce même pseudo-chercheur publie des pages entières contre les archéologues ou place dans la bouche de l’inventeur des Pierres d’Ica, le professeur Cabrera, ces mots : « les préhistoriens classiques sont victimes de leurs préjugés, de leurs œillères et leurs décrets-lois » [5]. Ainsi, les chercheurs restent dans leurs connaissances, refusent de voir ailleurs et sont de toute façon bloqués par les « gouvernements ». C’était il y a cinquante ans. Force est de constater que ce discours n’a pas changé. Ce syndrome de Galilée place les pseudo-archéologues dans la position de découvreurs au-delà de la science officielle. Ils s’affranchissent de toute rigueur et affirment sans preuve des contrevérités.

Ce qui a changé, c’est l’usage des réseaux sociaux. Là où MM. Charroux, von Däniken, Guy Gruais et Guy Mouny ou Graham Hancock devaient écrire un livre et espérer sa vente, les nouveaux pseudo-chercheurs diffusent leurs messages sur les réseaux sociaux, notamment sur les plateformes vidéo comme YouTube ou Odyssée. L’avantage est triple : c’est plus court à produire, il n’y a pas besoin de point de vente et l’algorithme peut pousser de nouveaux spectateurs.

Le terme de « science officielle », maintes fois évoqué, désigne la pratique de la science telle qu’elle est admise, c’est-à-dire fondée sur l’observation, l’étude et la critique des sources, qu’elles soient issues de l’expérimentation ou du terrain. Pour les pseudo-archéologues, c’est surtout celle qui est issue du milieu scientifique, notamment à travers les organismes de recherche ou les universités. Les reproches mis en avant par les pseudo-chercheurs tournent autour du fait que cette recherche est bloquée et qu’elle ne prend pas en compte certaines vérités. Dans le domaine de la pseudo-archéologie, la science officielle est dépassée car elle refuse l’existence d’une civilisation avancée, extraterrestre ou humaine, qui cristallise l’opposition.

Les pseudo-archéologues reprochent aux scientifiques de refuser en bloc leurs hypothèses. Ils partent du principe qu’elles sont vraies et que leurs seules explications suffisent. En général, leur approche est en négatif : si les explications de l’archéologie sont fausses, alors les leurs sont vraies. C’est l’usage du modèle mis en place dans La Révélation des pyramides. Cela leur permet de s’absoudre de poser clairement leur hypothèse. Et cette technique est évidemment facile, car une fois une hypothèse clairement posée, il faut la démontrer. Tant que ce n’est pas le cas, ils n’ont pas à apporter de preuves et peuvent garder le mystère.

Cette remise en question du discours archéologique, Michel Lasserre, sur sa chaîne Mystérieux Anciens Bâtisseurs (MAB) – une allusion à peine voilée à Bâtisseurs de l’Ancien Monde, de Patrice Pouillard, l’utilise en permanence. Son discours est volontairement agressif : il veut, avant de proposer une hypothèse, casser ce qu’il appelle « le narratif égyptologique ».

Dès sa première vidéo, le ton est donné : agressivité, attaque à la personne et cherry-picking. Voulant montrer que la Grande Pyramide a été construite 300 ans avant le règne de Khufu, il s’appuie sur l’étude de Bonami et al., mais choisit soigneusement quelques données : un tableau final dans lequel il prend la date la plus haute et une date basse du règne du souverain [6]. Il conclut donc que cette pyramide n’a pas pu être construite par Khufu. Nous avons laissé des commentaires sous cette vidéo en indiquant les erreurs qu’il a commises. Ses réponses ont été agressives, puis, monsieur Lasserre m’a banni. Cela montre que dès le début, monsieur Lasserre refuse le dialogue. Seuls ses thuriféraires peuvent laisser des commentaires.

Chacune des vidéos suivantes est marquée par les mêmes erreurs. Celle sur les papyrus de la mer Rouge atteint un premier sommet : il entend montrer que ces papyrus n’évoquent pas la construction de la Grande Pyramide, et se permet de traiter monsieur Tallet, l’inventeur et éditeur des papyrus, de manipulateur. Nous avons répondu par un article à monsieur Lasserre et constaté notamment que ce dernier n’avait pas lu entièrement l’édition des papyrus et qu’il était passé à côté de nombreux éléments [7].

On aurait pu penser que monsieur Lasserre avait atteint le niveau le plus bas de la désinformation. C’était sans compter sur son talent. À la suite de son voyage de novembre dernier en Égypte, monsieur Lasserre a visité les pyramides de Daschour, et notamment celle de Daschour Nord, dite la Pyramide rouge. À l’instar d’un film de vacances, monsieur Lasserre nous montre son entrée dans la pyramide et sa visite des trois chambres internes. Et monsieur Lasserre d’affirmer que le parement de ces chambres est en granite, et plus que cela, en granite d’Assouan. Cette affirmation repose sur sa propre expertise et sur la confirmation du guide local. Monsieur Lasserre affirme qu’il y a 10 800 tonnes de granite, et que l’égyptologie ne saurait expliquer le transport depuis les carrières d’Assouan, à 650 kilomètres de là [8]. Et il enchaîne en expliquant qu’il n’y a aucune trace de canal ou de port, donc, qu’il aurait fallu tracter les blocs depuis le Nil distant de quelques kilomètres. Et d’ajouter encore que les voutes à encorbellement de la pyramide rouge seraient uniques en Égypte, alors que c’est faux. Et il se demande quelle est la crédibilité de ce « narratif égyptologique ». Michel Lasserre prend alors un ton moqueur et se demande si c’est de l’archéologie ou de la science-fiction [9].

Mais, si en effet, ce n’est pas du granite dans ces chambres, alors l’hypothèse de monsieur Lasserre s’écroule comme un château de cartes et toute la remise en cause des travaux des archéologues tombe à l’eau. Son discours, expliquant que la construction de cette pyramide à l’âge du cuivre est impossible, devient caduc.

Ces affirmations vont entraîner une critique sur la chaine d’El Coyote. Il montre que monsieur Lasserre se trompe et qu’il n’y a pas de granite dans la Pyramide rouge. D’autres interlocuteurs font remarquer, études à l’appui, qu’en effet, la Pyramide rouge ne contient pas de granite [10]. Une rapide vérification dans les ouvrages de référence révèle que cette pyramide ne contient pas de granite [11]. Une seconde vérification sur les études géologiques du plateau de Gizeh confirme ces données [12]. Cela est affirmé dans l’étude de Dietrich et Rosemary Klemm, qui certifie bien que les parements extérieur et intérieur sont en calcaire [13]. Ajoutons également l’étude de Stadelmann.

Monsieur Lasserre répond par une vidéo encore plus agressive, dans laquelle il reprend l’étude qui lui a été présentée, s’en attribuant la découverte, alors qu’elle était en lien dans la vidéo d’El Coyote. Dans sa nouvelle vidéo, monsieur Lasserre explique que les parements de la Pyramide rouge ne sont en effet pas en granite, mais en grès. L’étude qu’il cite évoque pour le corps de la pyramide des sandstones que l’on traduit en général par grès [14]. Le terme exact est dolomitic sandstone, que l’on traduit en français par grès dolomitique [15]. Et donc, monsieur Lasserre de conclure triomphalement que ses détracteurs se sont trompés, les chambres intérieures ne sont pas en calcaire. Mais c’est là que le bât blesse et que monsieur Lasserre enfume son auditoire. En effet, l’article parle bien de dolomitic sandstone, mais pour le corps de la pyramide. Et l’article de préciser que les parements sont eux en calcaire [16]. Monsieur Lasserre montre ici qu’il ne connaît rien aux structures des pyramides de l’Ancien Empire. Ces dernières sont constituées d’un corps, qui est formé de blocs mal équarris et de blocage, de backing stones, mieux taillés, et de parement (casing) bien taillé. Les parements sont bien sûr extérieurs, mais également intérieurs, et dans les chambres. Et ils sont bien en calcaire.

La seconde vidéo de monsieur Lasserre est donc aussi fausse que la première. Et El Coyote s’en empare immédiatement pour le montrer. Face à l’étalage de ses erreurs, monsieur Lasserre s’arc-boute.

Donc, lorsque El Coyote produit des vidéos pour montrer les erreurs de monsieur Lasserre, ce dernier réagit comme un pseudo-chercheur : fébrilité, agressivité et incapacité à reconnaître ses erreurs. L’agressivité est présente dès le départ dans sa vidéo de réponse, par son ton et par les mots choisis. La fébrilité par l’urgence dans laquelle il sort sa vidéo – environ 24 heures. L’incapacité à reconnaître ses erreurs, en se trompant une nouvelle fois sur la qualité de la pierre des parements intérieurs. Face de nouveau à cet échec, monsieur Lasserre n’a trouvé qu’une solution, faire censurer les vidéos d’El Coyote. Le prétexte serait que ses propres commentaires auraient été effacés. Quelle hypocrisie ! quand on sait que monsieur Lasserre a censuré sur sa chaîne YouTube les commentaires qui remettaient en cause ses contes !

Monsieur Lasserre se déclare être un « chercheur indépendant ». Il est surtout un piètre personnage, qui cherche essentiellement à promouvoir une hypothèse qui n’est pas la sienne, et veut être reconnu sur la toile comme un innovateur. Mais, en réalité, il reprend les mêmes antiennes que les autres pseudo-chercheurs : critique de la « science officielle » sans la connaître, hypothèses mal formulées pour ne pas trop en dévoiler afin de regrouper le plus d’afficionados, cueillette de cerise maximale, ne prenant que celles qui iraient dans son sens ; il reprend également les mêmes méthodes : paresse, impossibilité de se remettre en cause et incapacité à dialoguer pour apprendre de ses erreurs.

Concluons rapidement : monsieur Lasserre a fondé une chaîne dans laquelle il déroule un discours convenu anti-égyptologique, répétant à l’envie que le « narratif égyptologique » est une fable, en présentant ce qu’il appelle ses découvertes, et qui ne sont qu’un mélange de ses photos de vacances, de vidéos pompées notamment sur Uncharted X et de son discours pompeux. Confronté à des personnes qui remettent en cause son discours, Michel Lasserre n’a, au final, qu’une réponse : la censure.

Face à ces pseudo-chercheurs qui instrumentalisent les propos à leur profit afin de se créer une communauté de suiveurs, l’ALDHHAA apporte une réponse solide.